
En quelques décennies, la photographie a basculé d’un monde de contraintes techniques à un univers de possibilités infinies. Mais à mesure que l’intelligence artificielle entre dans nos boîtiers, faut-il craindre une dilution du regard photographique ?
Argentique : quand la contrainte technique était une force créative
Il fut un temps où chaque déclenchement était une décision.
Travailler en argentique, c’était composer avec les limites de la pellicule, de la lumière, du boîtier. On choisissait une émulsion pour son grain, son contraste, ses défauts. La photographie naissait de cette contrainte. Avec une diapositive, impossible de tricher : une scène surexposée ou trop sombre restait irrécupérable.
Cette rigueur technique obligeait à penser en amont, à anticiper. Et surtout, à se montrer fidèle à une esthétique, un outil, un regard.
La liberté numérique : un cadeau empoisonné ?

Aujourd’hui, les capteurs modernes permettent de photographier de nuit comme en plein jour, de shooter à 12 800 ISO sans broncher. L’exposition ? Corrigeable. Le cadrage ? Retouchable. Le style ? Modulable en post-prod.
Le piège des possibilités infinies
Mais cette liberté peut devenir vertige. Quand tout est possible, que choisit-on réellement ? Le danger, c’est la dispersion : multiplier les essais, sans cohérence, sans intention. Le boîtier devient un laboratoire plutôt qu’un prolongement du regard. Et personnellement, j’avoue que parfois, je me suis perdu dans essais techniques sans fin.
La course au matériel

Lors des reportages photo mariages en argentique, je suis limité par la sensibilité du film. Une pellicule comme la Tri-X 400 peut être exposée à 1600 ISO mais je dépasse rarement les 800 ISO comme dans la photo ci-dessus. Si la vitesse tombe et provoque des flous, c’est secondaire.
Chaque année, les nouveautés s’enchaînent : plus de pixels, plus de dynamique, plus de tout. Et le sentiment diffus que ne pas changer de boîtier revient à rester à la traîne.
Pourtant, j’utilise encore mon Canon EOS 3, acheté il y a plus de vingt ans. Il m’impose une lenteur, une réflexion, une fidélité. Ce rythme, je le considère comme une richesse.
L’intelligence artificielle : la fin du regard du photographe ?
L’intelligence artificielle est déjà là. Elle nettoie les visages, recompose les ciels, ajuste les couleurs. Demain, elle pourrait aller plus loin : choisir le style d’un photographe célèbre, effacer automatiquement les éléments gênants, simuler la lumière parfaite.
L’image comme produit généré ?
Dans ce monde-là, quel rôle reste-t-il au photographe ? Sera-t-il encore l’auteur de ses images, ou seulement un opérateur de l’algorithme ? Peut-on encore parler de regard, ou seulement de rendu ?
Ce que je défends : une photographie incarnée

Qu’on travaille en numérique ou en argentique, la vraie question reste : que veut-on raconter ?
Un appareil, aussi performant soit-il, ne remplace pas une intention. Ce qui donne de la valeur à une image, c’est le regard qui l’anime. L’émotion saisie. L’histoire racontée.
Même si la technologie progresse, restons fidèles à notre sensibilité, à notre manière de voir. C’est ce qui fait la différence entre une image parfaite… et une photo vivante.
Pour preuve, les mariés ne me félicitent jamais pour la qualité d’image de mon Canon R6. Par contre, si vous passez à côté d’un moment crucial, on vous le fera savoir à coup sûr. Mais si la photo de la mamie dans les bras de la mariée en pleur est bruitée et un peu floue, on vous remerciera mille fois.
En photographie de portrait, cette recherche d’authenticité prend tout son sens : photographie de portrait authentique.
Et vous ? Pensez-vous qu’on puisse encore parler d’auteur à l’ère des photos “assistées” ?
D’autres réflexions autour de la photographie contemporaine sont à découvrir sur le blog Studio Argentique.

Commentaires
6 réponses à « Photographie numérique : progrès ou perte de sens ? »
bonjour et merci de partager cette réflexion. J’abonde totalement dans le sens de votre propos, c’est pour toutes les raisons que vous évoquez que je suis revenu à l’argentique. Aujourd’hui j’ai de plus en plus de peine à croire dans une photo publiée, elles sont trop parfaites, on semble trop tricher avec la réalité …
Bonjour.
Merci pour votre réflexion, elle soulève un point fascinant !
Vous touchez là à un paradoxe que je vis quotidiennement en tant que photographe. D’un côté, mes clients attendent légitimement des images impeccables – c’est d’ailleurs ce pour quoi ils investissent dans un professionnel. De l’autre, cette quête de perfection numérique me questionne de plus en plus.
L’argentique avait cette magie : le grain, les micro-flous, les contrastes imparfaits étaient perçus comme de la poésie visuelle. Aujourd’hui, le moindre cheveu qui dépasse ou la plus petite imperfection cutanée peut faire l’objet de remarques. Nous sommes passés d’une époque où l’émotion primait sur la technique à une ère où la perfection pixels devient parfois plus importante que l’instant capturé.
C’est pourquoi j’essaie de plus en plus d’éduquer mes clients sur la beauté de l’authenticité. Un regard légèrement fatigué après une longue journée, une mèche rebelle dans le vent… ces « imperfections » racontent souvent mieux l’histoire que n’importe quel lissage numérique.
Mon défi aujourd’hui : trouver le juste équilibre entre qualité professionnelle et vérité de l’instant. Car au final, ce sont ces détails humains qui rendent chaque reportage unique, non ?
Bonjour, je refuse cette époque de mensonge dans la photographie et l’arrivée de l’ I A va finir de tuer la photographie, toutes ces photographies que je vois maintenant avec des couleurs tellement saturées que cela est ridicule ce noir et blanc tellement lisse comme cette société voudrait être sans aspérités tous pareils, je ne sais ce que l’avenir sera mais je suis content de pratiquer l’argentique de plus en plus je suis né et a été élevé avec la photographie argentique j’aime son authenticité la puissance d’un film la matière que l’on peut sentir, je regarde les sites de photographie actuel et je vois ce déferlement toutes ces photos identiques maquillées comme des voitures volées et l’ IA par dessus tout ca maintenant.
Vive le film et sa sensualité
Merci Lionel pour cette intervention. C’est tout à fait juste. Malheureusement, on ne pourra pas refaire le monde mais je pense que les prochaines générations vont se lasser de toute cette « artificialité ». Je défendrai bec et ongle mon travail à l’ancienne quite à déplaire au plus grand nombre. Pour l’instant, je n’ai pas le sentiment que mon style déplaît totalement; il existe encore quelques irréductibles qui apprécient mon travail. Il faut que je tienne encore quelques années !
Bonjour Fred, effectivement votre style me déplaît totalement, et même pas du tout ! :o) Nous sommes un certain nombre de ces irréductibles qui apprécient votre travail, pour notre plus grand plaisir.
Bonjour. Mille mercis. À bientôt et bon dimanche.