Le piège des automatismes en photographie

Avec l’expérience, on acquiert des automatismes qui ne sont pas toujours bénéfiques. Parfois, il vaut mieux prendre un peu de recul et éviter ce que j’appelle la photomatique ou le déclenchement automatique. Quand on se repose uniquement sur des automatismes, on obtient des photos qui se ressemblent toutes et on risque de passer à côté du sujet.

Photographie rétro sur les quais de Tournai

Jean-Pascal et moi, nous nous sommes donné rendez-vous à Tournai pour une promenade sur les quais de l’Escaut. Comme à notre habitude, nous avons beaucoup discuté de photographie argentique. Sans que l’on se soit concertés, nous sommes tous deux venus avec un Nikon. JP avait apporté un Nikkormat et moi le FM2n. J’avais pris le parti de faire des photos dans un style rétro mais malheureusement, j’ai privilégié le style au contenu.

La lumière n’était pas plaisante ce jour là et je n’étais pas assez concentré sur ce que je faisais. J’ai rempli une pellicule sans conviction. J’aurais dû me poser les bonnes questions avant de commencer à cadrer au pif. Quel est mon sujet ? Comment l’aborder ? Quel angle choisir ? Je me suis contenté de répéter machinalement ce que j’ai acquis depuis longue date. Du coup, le résultat n’est pas bon, j’ai obtenu des photos standards. J’ai passé un très bon moment en compagnie de JP, rien de tel qu’une balade au calme avec un ami pour se changer les idées. Mais d’un point de vue créativité, je repasserai.

Le samedi qui suivait, je couvrais un mariage sous une chaleur écrasante. C’était une journée éprouvante sur le plan physique et cela a eu des conséquences sur mes capacités cognitives. Une femme s’est intéressée à mon matériel et se plaignait de son vieux reflex, un Nikon numérique d’entrée de gamme un peu cabossé. Pour la consoler, je lui expliquais qu’il valait mieux un vieil appareil photo que l’on connaît parfaitement qu’un boîtier ultra sophistiqué que l’on ne maîtrise pas. J’avais remarqué qu’elle opérait très vite par rapport à beaucoup d’autres photographes amateurs. Je lui ai dit que sa rapidité d’exécution était sans doute la preuve qu’elle connaissait bien son équipement.

Un matériel photo plus performant ne l’aiderait pas forcément à obtenir de meilleures images. L’électronique n’empêche pas l’erreur humaine et les mauvais choix. On n’arrive à rien de bon si on se place au mauvais endroit, si on ne choisit pas la bonne distance avec le sujet ou si l’on ne compose pas avec la lumière. Je travaille parfois plus efficacement avec un boîtier argentique entièrement mécanique parce que je m’implique à 100 % dans ce que je fais. On peut créer de bonnes images quand on donne le meilleur de soi-même et pas parce qu’on possède un EOS R3 ou Z9.

La photographie n’est pas seulement une question de qualité d’image et bien souvent, le critère ne rentre pas en ligne de compte. Regardez le travail de W Eugene Smith, le photographe américain de l’agence Magnum. Ses photographies peuvent vous sembler techniquement moyennes, floues, sombres, graineuses alors qu’elles sont d’une beauté incroyable. Quel talent ! Quelle intelligence du regard ! Il choisit des moments forts saisis dans une atmosphère bien à lui ! Je suis toujours émerveillé devant ses compos soignées et sa gestion de la lumière.

Pour faire évoluer sa pratique, il faut être capable d’apprécier la lumière et de faire preuve d’imagination. Une étape importante est franchie lorsque l’on arrive à mettre en application l’image que l’on avait en tête. Il ne faut pas se contenter d’appuyer sur le bouton et espérer que la technologie face le reste. On se laisse trop facilement gagner par la facilité. Que ce soit avec une technologie de pointe ou un vieux boîter argentique, les meilleures images s’obtiennent avec nos tripes.

Je ne dis pas que j’aurais dû préparer cette sortie photo comme s’il s’agissait un reportage au long cours pour un magazine. Le but de cette balade était de passer un bon moment en compagnie d’un ami. Le mieux aurait été encore de ne pas prendre d’appareil photo, d’observer et de me demander ce que j’aurais pu faire avec telle ou telle focale.